- Smail Kharoubi MDs_kharoubi at yahoo dot frFaculte de medecine, Universite Badji Mokhtar - Annaba 23000, Algerie
Les cornes cutanées sont des lésions peu habituelles, asymptomatiques touchant la face et les extrémités avec une grande variabilité dans leurs formes et leurs dimensions. Elles peuvent être isolées ou associées à des lésions cutanées malignes constituant alors un mode révélateur. Le traitement consiste à l’exérèse large emportant la base d’implantation et l’examen anatomopathologique.
The cutaneous horns are uncommun dermatologic lesions. They are asymptomatic and often localized in the face or extremities with a large variability in their shapes and dimensions. They can be isolated or associated with malignant tumors. The treatment consists in the wide excision carrying the base of implantation with pathological analysis.
Les cornes cutanées sont des lésions peu fréquentes de forme et de siège variable sans traduction symptomatique résultant de l’accumulation de lamelles de kératine des couches superficielles de l’épiderme. Les cornes cutanées sont peu connues en pratique médicale courante (en particulier ORL) souvent anecdotiques mais méritent un intérêt car elles peuvent être à l’origine du diagnostic d’une pathologie cutanée maligne (carcinomes cutanés).
M. B.A., âgé de 75 ans, a consulté pour une excroissance « cornée » du pavillon de l’oreille gauche récidivante. Il était suivi et traité pour hypertension artérielle et un diabète de type II. Il avait noté, 8 mois auparavant, l’apparition d’une excroissance « ressemblant à un ongle » sur le bord libre du pavillon de l’oreille gauche, indolore mais extrêmement disgracieuse et inesthétique, pour laquelle il avait utilisé des « ciseaux à ongles » afin de la couper.
L’examen clinique a mis en évidence une excroissance dure, insensible réalisant la forme d’une « corne » de 10 mm de longueur au niveau de l’hélix (Figure 1). La base d’implantation était congestive sans modification cutanée péjorative (ulcération, infiltration). Il n’y avait pas de modification cutanée cervico-faciale et le reste de l’examen ORL était sans particularité.
Une exérèse de la lésion est faite sous anesthésie locale emportant sa base d’implantation dont l’examen anatomopathologique était sans particularité (figures 2, 3, 4).
Après 5 ans de recul, il n’y a pas eu de récidive ni apparition de lésion similaire cervico-faciale.
Les cornes cutanée (CORNU CUTANEUM) constituent une pathologie rare du revêtement cutané chez l’homme contrairement à certaines espèces animales (oiseaux, certains rongeurs), asymptomatiques revêtant souvent un caractère anecdotique. Elles correspondent à une agglutination des lames de kératine du revêtement épidermique qui s’organise sous forme de cônes en particulier au niveau de la face. Les cornes cutanées peuvent être primitives isolées ou secondaires à des lésions cutanées bénignes ou malignes.
Dans la littérature anglo-saxonne, on rapporta en 1588 l’histoire d’une dame qui avait des cornes cutanées particulièrement développées faisant d’elle une curiosité exceptionnelle. Elle fut exposée au public dans les foires en contre partie d’une rémunération [1]. La première description remonte à 1864 où H.LEBERT avait publié une série de 109 cas de cornes cutanées [2]. Les cornes cutanées se voient surtout chez les patients âgés généralement entre 60 et 75 ans sans prédominance de sexe [3] [4]. Elles revêtent des formes très variables, coniques, de couleur blanche ou jaunâtre, le plus souvent uniques avec des mensurations variables de quelques mm à 38 cm [3]. SKOULAKIS.E avait rapporté une corne cutanée nasale bifurquée implantée au niveau de la pointe nasale [5]. ARVAS.L avait décrit une corne cutanée du cuir chevelu de 8 cm de hauteur sur 5 cm de diamètre survenant sur un naevus sébacé [6]. Le siège de ces lésions est variable avec une nette prédominance au niveau du revêtement cutané de la face notamment la pyramide nasale, les pavillons de l’oreille, la région malaire, le cuir chevelu, les lèvres, les paupières et la région cervicale [3] [7] [8]. Ailleurs, il s’agit de localisations au niveau des extrémités : mains, pieds ou les organes génitaux externes [3]. Les cornes cutanées sont surtout associées à un phénotype de type blanc de la peau dans 80,10 % pour MANTESE contre 15,64 % pour les autres types de couleurs de peau [9]. Sur le plan pathologique les lamelles de kératine des couches superficielles épidermiques s’agglutinent et s’organisent réalisant « un bouchon corné unique » à base d’implantation plus ou moins large. Elles surviennent sur les parties de la peau exposées au soleil mais pas de façon exclusive. Certains facteurs favorisants ont été cités mais sans aucune certitude : antécédents de traumatismes, manque d’hygiène corporelle et des antécédents de lésions cutanées bénignes ou cancéreuses [3].
La pathogénie des cornes cutanées demeure méconnue. On peut supposer une réorganisation ponctuelle et sur un site cutané prédisposé de la cinétique et de l’architecture des couches épidermiques superficielles d’origine multifactorielle. WANG et al. incriminent le rôle possible de l’Human Papilloma Virus -2 (HPV-2) dans la genèse de ces cornes cutanées [10]. Sur le plan histologique, on note la disparition de la couche granuleuse de la peau. Les cornes cutanées sont généralement asymptomatiques et génèrent surtout des troubles d’ordre cosmétiques mettant le patient dans un grand inconfort social le poussant ainsi à la consultation médicale. Par ailleurs et en fonction de leur siège, ces lésions peuvent gêner le patient dans ses pratiques d’hygiène corporelle de tous les jours : lavage du visage, rasage ou lors du sommeil (contact avec l’oreiller pour les localisations au pavillon de l’oreille). Le praticien en présence d’une corne cutanée doit toujours avoir à l’esprit la possibilité de lésions cutanées malignes sous-jacentes. L’examen de la base d’implantation doit être minutieux : épaisseur de la peau, présence d’une infiltration, dimensions de la base d’implantation, la constatation d’une rougeur, d’une ulcération voire d’un nodule.
Une mensuration de la corne cutanée étant réalisée de même qu’un document iconographique (photographie) de la lésion. La recherche d’une adénopathie cervicale dans le territoire de drainage peut avoir une connotation péjorative en faveur d’une lésion cutanée maligne sous jacente.
Les cornes cutanées et lésions malignes sont associées dans 39 à 58% des cas et pour certains auteurs jusqu’à 70% des cas [6]. Certaines études ont essayé d’identifier des facteurs de risque de malignité des cornes cutanées en particulier l’âge (au delà de 75 ans), le sexe masculin, le siège de la lésion au niveau d’une région exposée au soleil, la forme et surtout l’épaisseur de la base d’implantation.
Le plus souvent les cornes cutanées sont assimilées aux carcinomes spino ou baso cellulaire [11], ailleurs il peut s’agir d’une maladie de Bowen, d’un sarcome de Kaposi [12] [13] ou d’un mélanome malin [14] (voir tableau N°1). PETERSON.JL avait publié en 1983 une métastase d’un adénocarcinome rénal révélé par une corne cutanée [15]. La prise en charge thérapeutique des cornes cutanées est chirurgicale.
Corne cutanee primitive |
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Corne cutanee secondaire |
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Une anesthésie locale est généralement suffisante. L’exérèse doit surtout être adéquate, emportant la base d’implantation avec une marge suffisante tracée au préalable au crayon dermographique à 5 mm. Un examen extemporané est souhaitable permettant d’ajuster l’exérèse cutanée en cas de marges infiltrées par une lésion maligne cutanée.
Une fermeture simple de la peau (après décollement des berges) est réalisée si possible. Une cicatrisation dirigée (pansement gras périodique) ou un lambeau cutané local voire à distance sont parfois nécessaire en fonction du siège et de l’étendue de l’exérèse. L’examen anatomopathologique de la pièce d’exérèse permet de vérifier sa qualité et de classer la corne cutanée en primitive ou secondaire. Les récidives sont rares, il s’agit surtout de localisations dans d’autres sites anatomiques qui demeurent possibles.
Les cornes cutanées sont des lésions rares, asymptomatiques qui altèrent surtout l’aspect socio-relationnel du patient compte-tenu de sa connotation esthétique évidente. L’approche clinique de ces lésions va toujours dans le sens du diagnostique et de la prise en charge thérapeutique des cancers cutanés associés.
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